European Journal of Law ReformAccess_open

Article

L’internationalité de l’arbitrage OHADA

Authors
Show PDF Show fullscreen
Abstract Author's information Statistics Citation
This article has been viewed times.
This article been downloaded 0 times.
Suggested citation
Gaston Kenfack Douajni, 'L’internationalité de l’arbitrage OHADA', (2011) European Journal of Law Reform 397-412

    L’arbitrage OHADA est gouverné par deux instruments adoptés par le Conseil des Ministres de l’OHADA à Ouagadougou (Burkina Faso), en date du 11 mars 1999; il s’agit de l’acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage (ci-après AUA), qui régit l’arbitrage de droit commun dans les pays membres de l’OHADA, et du Règlement d’arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (ci-après Règlement d’arbitrage CCJA), qui fixe dans le détail les règles de l’arbitrage CCJA, dont les grands traits sont tracés par le titre IV du Traité OHADA.

Dit artikel wordt geciteerd in

      L’arbitrage OHADA est gouverné par deux instruments adoptés par le Conseil des Ministres de l’OHADA à Ouagadougou (Burkina Faso), en date du 11 mars 1999; il s’agit de l’acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage (ci-après AUA), qui régit l’arbitrage de droit commun dans les pays membres de l’OHADA, et du Règlement d’arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (ci-après Règlement d’arbitrage CCJA), qui fixe dans le détail les règles de l’arbitrage CCJA, dont les grands traits sont tracés par le titre IV du Traité OHADA.
      L’arbitrage OHADA étant ainsi porté tant par l’AUA que par le Règlement d’arbitrage CCJA, l’on pourrait s’interroger sur les rapports qui existent entre ces deux instruments.
      On relèvera, à cet égard, que l’AUA a une valeur législative, son Art. 35 précisant qu’il tient lieu de loi relative à l’arbitrage dans les pays membres de l’OHADA.
      Comme mentionné plus haut, c’est ce texte qui régit l’arbitrage de droit commun dans l’espace OHADA.
      L’expression «arbitrage de droit commun» doit ici s’entendre à la fois de l’arbitrage ad hoc et de l’arbitrage institutionnel administré par les Centres privés d’arbitrage opérant dans l’espace OHADA.
      En effet, s’agissant de l’arbitrage ad hoc, l’AUA servira de support à sa mise en œuvre et à sa gestion dans l’espace OHADA, à défaut de règles convenues par les parties à cet effet.
      De ce point de vue, la plupart des dispositions de l’AUA ont un caractère supplétif de la volonté des parties.
      S’agissant de l’arbitrage institutionnel, on ne perdra pas de vue qu’en faisant référence au règlement d’arbitrage institutionnel dans ses Arts. 10 et 14, l’AUA reconnaît indiscutablement que ce type d’arbitrage a également cours dans l’espace OHADA et, en même temps, valide l’activité des Centres d’arbitrage existant ou à créer dans ledit espace.
      Dès lors, les Règlements d’arbitrage des Centres ou d’Institutions d’arbitrage opérant dans l’espace OHADA doivent être compatibles avec la loi relative à l’arbitrage dans ledit espace qu’est l’AUA, lequel peut compléter ces Règlements, le cas échéant.
      En ce qui concerne le Règlement d’arbitrage CCJA, celui-ci a une valeur contractuelle, au même titre que tout autre règlement de quelque Centre ou Institution d’arbitrage que ce soit.
      On rappellera, à cet égard, que c’est au moyen d’une convention d’arbitrage que les parties choisissent de soumettre à l’arbitrage le règlement de leurs différends. Si elles optent pour un arbitrage institutionnel, elles se réfèrent nécessairement au règlement d’arbitrage de l’Institution ou du Centre d’arbitrage de leur choix, adhérant ce faisant au règlement d’arbitrage de cette Institution; d’où le caractère contractuel des règlements d’arbitrage, car en y adhérant, les parties s’y soumettent.
      La différence entre le Centre d’arbitrage CCJA et les autres Centres d’arbitrage qui existent dans l’espace OHADA résulte de ce que le Centre d’arbitrage CCJA, dont le Règlement d’arbitrage précise les modalités de fonctionnement, a été créé par des Etats souverains, les Etats parties à l’OHADA, qui l’ont, de surcroît, doté de spécificités constituant des avantages comparatifs que l’on ne retrouve pas dans les autres Centres d’arbitrage du même espace et même d’ailleurs.
      Autrement dit, l’arbitrage CCJA est d’origine ou d’émanation publique, tandis que les autres Centres d’arbitrage existant dans l’espace OHADA sont, généralement, d’émanation privée.
      En effet, c’est soit des groupements d’entreprises privés ou semi-privés (Centre d’arbitrage du GICAM au Cameroun), soit des chambres consulaires (Cour d’Arbitrage de Côte d’Ivoire – CACI –, Centre d’Arbitrage et de Conciliation de Dakar au Sénégal ou de Ouagadougou au Burkina Faso, pour ne citer que ceux – là) et donc des initiatives plus ou moins privées, qui sont à l’origine de ces autres Centres d’arbitrage.
      Ces précisions préalables étant faites, on mentionnera à nouveau que le dispositif arbitral OHADA est composé de l’AUA et du Règlement d’arbitrage CCJA.
      Traiter de l’internationalité de l’arbitrage OHADA consistera ici à vérifier la conformité à l’arbitrage international de ce dispositif; l’on y procédera à la lumière de l’instrument international le plus récemment adopté en la matière qu’est le Règlement d’arbitrage CNUDCI (I) et à travers l’examen de quelques éléments de jurisprudence (II).

    • A. L’internationalité de l’arbitrage OHADA par rapport au Règlement d’arbitrage CNUDCI

      On commencera par rappeler brièvement mais utilement que la Commission des Nations Unies pour le droit du Commerce international (CNUDCI) est le principal Organe juridique du système des Nations Unies dans le domaine du droit commercial international et a pour mission d’encourager l’harmonisation et l’uniformisation progressives du droit commercial international.
      A cet effet, elle élabore des règles modernes relatives aux opérations commerciales, en prenant en compte les principaux systèmes juridiques et économiques du monde; ces règles sont formulées dans des Conventions, des lois-types, des guides et autres recommandations diverses.
      En matière d’arbitrage, la CNUDCI a, entre autres, élaboré en 1976 un Règlement d’arbitrage «pour le règlement des litiges nés des relations commerciales internationales […]»1xAnnuaire de la Commission des Nations Unies pour le droit du Commerce international (CNUDCI), 1977, Vol. VIII, p. 10, résolution No. 31/98. et, en 1985, une loi-type sur l’arbitrage destinée à servir de modèle à ceux des Etats membres des Nations Unies désireux d’adopter une loi moderne sur l’arbitrage ou de moderniser leur droit de l’arbitrage.
      Dans le but de mieux l’aligner sur les pratiques récentes en matière d’arbitrage international et sur les dispositions pertinentes de la loi-type sur l’arbitrage la CNUDCI s’est engagée dans la modification de son Règlement d’arbitrage de 1976 et la version révisée dudit règlement d’arbitrage est en vigueur depuis le 15 août 2010.2xN.U. Document, A/CN.9/WG.11/WP.143, p. 2 et 3, No. 2 à 5.
      Ce règlement d’arbitrage révisé de la CNUDCI traduit le souci de ses rédacteurs de respecter la volonté des parties qui ont opté pour le règlement de leurs litiges commerciaux par voie d’arbitrage.
      C’est ainsi que, outre la description minutieuse des modalités de constitution du tribunal arbitral, avec des précisions fort opportunes sur le rôle de l’autorité de nomination, le nouveau Règlement d’arbitrage de la CNUDCI précise aussi dans le détail la manière de conduire une procédure arbitrale.
      Dans cette démarche didactique, le nouveau Règlement d’arbitrage CNUDCI, qui est en principe conçu pour les arbitrages ad hoc, reprend plusieurs règles matérielles de l’arbitrage international relatives tant à la mise en œuvre de l’arbitrage qu’à la conduite de la procédure puis à l’élaboration de la sentence arbitrales.
      Bon nombre de règles matérielles sus évoquées se retrouvant dans les instruments OHADA relatifs à l’arbitrage, deux seront ici examinées: il s’agit du principe de l’autonomie de la clause compromissoire (A) et du principe compétence-compétence (B).

    • B. L’autonomie de la convention d’arbitrage

      Ce principe est contenu dans l’Art 23.1 du nouveau Règlement d’arbitrage de la CNUDCI en ces termes; «[...] une clause compromissoire faisant partie d’un contrat est considérée comme une convention distincte des autres clauses du contrat. La constatation de la nullité du contrat par le tribunal arbitral n’entraîne pas de plein droit la nullité de la clause compromissoire».
      L’autonomie de la clause compromissoire, ou plus généralement, de la convention d’arbitrage, s’entend d’une autonomie par rapport au contrat principal que la clause compromissoire ou le compromis d’arbitrage a pour objet de soumettre à l’arbitrage.
      Il en résulte que l’existence, la validité ou le maintien de la convention d’arbitrage ne dépendent pas du sort du contrat principal auquel se réfère cette convention.
      Autrement dit, l’allégation que le contrat principal n’a pas été conclu, qu’il est nul, résolu ou résilié est sans effet sur l’efficacité de la convention d’arbitrage.
      Se justifiant par le souci de ne pas priver les parties de toute possibilité de faire sanctionner leurs droits en cas d’invalidation du contrat principal, le principe de l’autonomie de la clause compromissoire fut dégagé pour la première fois par la Cour de Cassation française dans l’arrêt Gosset du 7 mars 1963,3xNote de B. Goldman, J.C.P. 1963, II, 13405; note J. Robert, Recueil Dalloz 1963, p. 545. à l’occasion du règlement d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat international.
      Il ne semble pas superflu de citer l’attendu principal de cet arrêt Gosset, qui est conçu comme suit: «En matière d’arbitrage international, l’accord compromissoire, qu’il soit conclu séparément ou inclus dans l’acte juridique auquel il a trait, présente toujours, sauf circonstances exceptionnelles [...], une complète autonomie juridique, excluant qu’il puisse être affecté par une éventuelle invalidité de cet acte».
      Il apparaît indiscutablement que le sort de la convention d’arbitrage ne suit pas nécessairement celui du contrat principal et Motulsky en a opportunément tiré la conséquence que la clause compromissoire est un contrat dans le contrat.4xH. Motulsky, Ecrits et notes sur l’arbitrage, Paris, 1960, p. 346 et seq.
      Le succès du principe de l’autonomie de la clause compromissoire a débordé les frontières de la France, car on retrouve ce principe en droit anglais (separability), dans d’autres droits étrangers, dans la Convention européenne de Genève du 21 avril 1961 sur l’arbitrage international (Art. V 3) et dans de nombreux règlements d’arbitrage tels que le nouveau Règlement d’arbitrage de la CNUDCI, comme signalé plus haut.
      Le législateur OHADA a aussi succombé au charme du principe de l’autonomie de la clause compromissoire.
      C’est ainsi qu’on retrouve ledit principe tant dans l’AUA que dans le Règlement CCJA.
      En effet, l’AUA, qui n’opère aucune distinction entre arbitrage interne et arbitrage international, et dont on a relevé qu’il est très inspiré du droit français de l’arbitrage et en reprend la philosophie libérale,5xP. Leboulanger, ‘L’arbitrage et l’harmonisation du droit des affaires en Afrique’, Rev. Arb. 1999, p. 541 et seq. énonce en son Art. 4 que «la convention d’arbitrage est indépendante du contrat principal. Sa validité n’est pas affectée par la nullité de ce contrat [...]».
      La Cour d’Appel de Paris a, dans son arrêt du 18 novembre 2010 sur lequel nous reviendrons plus loin, pris acte de l’adoption de ce principe par le législateur OHADA, dans les termes suivants: «Considérant que la clause d’arbitrage est autonome du contrat qui la contient, ce que d’ailleurs dit l’Art. 4 al1 de l’Acte Uniforme sur l’arbitrage, selon lequel la convention d’arbitrage est indépendante du contrat principal […]».
      Pour sa part, le Règlement d’arbitrage CCJA, qui est très inspiré du Règlement d’arbitrage CCI de 1988,6xR. Bourdin, ‘Le Règlement d’Arbitrage de la Cour Commune de Justice’, Rev. Camerounaise Arb., No. 6, 1999, p. 10; R. Bourdin, ‘L’OHADA, information à ce jour’, Doc. CCI 420/405 annexe 3, 30 mars 2000. énonce que «sauf stipulation contraire, si l’arbitre considère que la convention d’arbitrage est valable et que le contrat liant les parties est nul ou inexistant, l’arbitre est compétent pour déterminer les droits respectifs des parties et statuer sur leurs demandes et conclusions ».7xArt. 10 du Règlement d’arbitrage CCJA.
      Malgré cette formulation quelque peu différente de celle, plus claire, de l’Art. 4 de l’AUA, cette disposition du Règlement CCJA constitue l’affirmation du principe de l’autonomie de la convention d’arbitrage, avec la précision qu’en cas d’invalidation du contrat principal ou malgré elle, l’arbitre s’appuiera sur la convention d’arbitrage pour déterminer les droits respectifs des parties et statuer sur leurs demandes et conclusions.
      On perçoit ici le corollaire du principe de l’autonomie de la convention d’arbitrage qu’est le principe de compétence-compétence.

    • C. Le principe de compétence-compétence

      Le principe de compétence-compétence est aussi repris par le nouveau Règlement d’arbitrage CNUDCI, toujours à l’Art. 23 selon lequel «le tribunal arbitral peut statuer sur sa propre compétence, y compris sur toute exception relative à l’existence ou à la validité de la convention d’arbitrage [...]».
      Participant de l’idée qu’il n’y a pas lieu de suspecter a priori les arbitres de ne pas être en mesure de parvenir eux-mêmes à une décision à la fois équitable et protectrice des intérêts de la société, le principe de compétence-compétence permet à l’arbitre de poursuivre sa mission, même si l’existence ou la validité de la convention d’arbitrage est contestée par une partie pour des causes qui affectent directement la convention d’arbitrage et pas seulement par simple conséquence de l’éventuelle nullité du contrat principal.8xP. Fouchard, E. Gaillard & B. Goldman, Traité de l’arbitrage commercial international, Paris, 1996, p. 413 et 414 (ci-après: ‘Traité de l’arbitrage’).
      Ce principe permet également aux arbitres de constater, le cas échéant, la nullité de la convention d’arbitrage et de rendre une sentence concluant à leur incompétence.
      On relèvera utilement que le principe de compétence-compétence n’a pas pour objet d’abandonner aux arbitres le contrôle de leur compétence; au contraire, cette compétence doit être contrôlée par les juridictions étatiques à l’occasion d’éventuelles instances en annulation ou en exequatur de la sentence.9xId.
      Ainsi repris par le Règlement d’arbitrage CNUDCI révisé, le principe de compétence-compétence est également contenu dans plusieurs instruments internationaux relatifs à l’arbitrage et c’est sans aucune surprise qu’on le retrouve dans les textes OHADA relatifs à l’arbitrage, le législateur OHADA ayant entendu doter l’espace du même nom de textes modernes en matière d’arbitrage.

      En effet, l’AUA énonce ce principe dans son Art. 11 alinéa 1, selon lequel «le tribunal arbitral statue sur sa propre compétence, y compris sur toute les questions relatives à l’existence ou à la validité de la convention d’arbitrage».
      Le Règlement d’arbitrage CCJA, quant à lui, énonce ce principe dans son Art. 10.4 déjà cité plus haut et d’après lequel: «Sauf stipulation contraire, si l’arbitre considère que la convention d’arbitrage est valable et que le contrat liant les parties est nul ou non existant, l’arbitre est compétent pour déterminer les droits respectifs des parties et statuer sur leurs demandes et conclusions».
      Ainsi, à l’image de l’Art. 23 du Règlement d’arbitrage de la CNUDCI, qui traite à la fois de l’autonomie de la convention d’arbitrage et du principe compétence-compétence, l’Art. 10.4 du Règlement d’arbitrage CCJA mentionne également les principes d’autonomie de la convention d’arbitrage et de compétence-compétence.
      Il apparaît qu’au regard des règles matérielles de l’arbitrage international examinées et relatives à la procédure arbitrale, l’arbitrage OHADA est indiscutablement conforme à l’arbitrage international.
      Qu’en est-il en ce qui concerne l’exécution des sentences arbitrales OHADA?

      I. Paragraphe II : L’internationalité relativement à l’exécution des sentences arbitrales OHADA

      Nous vérifierons l’internationalité de l’arbitrage OHADA ici en interrogeant la jurisprudence tant dans l’espace OHADA (A) qu’en dehors dudit espace (B).

      (A) La jurisprudence des juridictions de l’espace OHADA

      Nous nous appesantirons uniquement sur la divergence entre l’arbitrage OHADA, et plus généralement, entre le droit OHADA et le droit international, pour regretter que le droit OHADA soit en rupture avec le droit international, s’agissant de l’exécution forcée des sentences OHADA ou de tout autre titre exécutoire contre les personnes morales de droit public.
      On rappellera, à cet égard, que dans l’espace OHADA, l’immunité d’exécution des personnes morales de droit public est instituée par l’Art. 30 de l’acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution. Ledit texte s’énonce ainsi qu’il suit: «L’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution. Toutefois, les dettes certaines, liquides et exigibles des personnes morales de droit public ou des entreprises publiques, quelle qu’en soient la forme et la mission, donnent lieu à compensation avec des dettes également certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera tenu envers elle, sous réserve de réciprocité.
      Les dettes des personnes et entreprises visées à l’alinéa précédent ne peuvent être considérées comme certaines au sens des dispositions du présent article que si elles résultent d’une reconnaissance par elles de ces dettes ou d’un titre ayant un caractère exécutoire sur le territoire de l’Etat où se situent lesdites personnes».
      Sur la base de ce texte, des juridictions étatiques d’instance et d’appel officiant dans l’espace OHADA, de même que la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, ont appliqué dans l’absolu l’immunité d’exécution des personnes morales de droit public.10xSur l’ensemble de la question dans l’espace OHADA, voir G. Kenfack Douajni, ‘L’exécution forcée contre les personnes morales de droit public’, Rev. Camerounaise Arb. 2002, p. 3 et seq.; G. Kenfack Douajni, ‘Etude comparative entre l’arbitrage OHADA et l’arbitrage international’, Communication au Colloque, Paris, 17 et 18 mars 2009.
      A titre d’exemple, on mentionnera cette affaire dans laquelle le juge social de la Cour d’Appel de Lomé ayant condamné la société Togo Télécom à payer la somme de 118.970.213 F CFA à des salariés pour licenciement abusif, ces derniers ont pratiqué saisie-attribution de créances entre les mains de diverses banques à Lomé (Togo), au préjudice de Togo Télécom.
      Contestant ces saisies, la Société Togo Télécom a assigné les saisissants en main-levée devant le Président du Tribunal de Première Instance de Lomé, qui a fait droit à la demande de main-levée par ordonnance n 425/03 du 13 août 2003.
      Suite à l’appel interjeté par les créanciers saisissants, la Cour d’Appel de Lomé a confirmé l’ordonnance sus-évoquée, par arrêt n 186/2003 du 26 septembre 2003.
      Les créanciers saisissants ayant formé pourvoi devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage contre l’arrêt sus-indiqué de la Cour d’Appel de Lomé, la Haute Juridiction communautaire a rejeté ledit pourvoi.
      Entre autres motifs, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage s’est appuyée sur l’Art. 30 cité plus haut, pour affirmer que les biens des personnes morales de droit public ou des entreprises publiques, quelle qu’en soient la forme et la mission, sont insaisissables et que la société Togo Télécom étant une entreprise publique, ses biens sont insaisissables; sur quoi, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage souligna que la saisie-attribution pratiquée sur les comptes de Togo Télécom n’est pas fondée et n’a donc pas lieu d’être (CCJA, 7 juillet 2005, aff. Aziablevi YOVO et autres c/Société Togo Télécom).11xCité par F. Sawadogo, Rev. Camerounaise Arb., No. spécial (2).
      Bien que cet arrêt de la Cour Commune soit conforme à la lettre de l’Art. 30 de l’acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution cité plus haut, l’on peut regretter que la juridiction supranationale se soit abstenue d’être hardie et audacieuse sur l’application d’un texte appelé, ou mieux condamné, a être réécrit, au regard tant du doit comparé que des tendances internationales récentes en la matière.
      En effet, l’on assiste de plus en plus à la restriction de l’immunité d’exécution des personnes morales de droit public et, si comme le proclame le préambule du Traité OHADA, l’on veut «garantir la sécurité juridique des activités économique afin de favoriser l’essor de celles-ci et d’encourager l’investissement» dans l’espace OHADA, il est nécessaire de procéder à une réécriture de l’Art. 30 cité plus haut.
      Le droit comparé et le droit international invitent à la restriction, sus-évoquée, de l’immunité d’exécution des personnes morales de droit public.
      A cet égard, s’agissant du droit comparé, on mentionnera que la jurisprudence française a toujours procédé à la distinction des actes de gestion et des actes de service public de la personne morale de droit public pour restreindre l’immunité d’exécution de celle-ci.
      Par ailleurs, sur le terrain même du droit de l’arbitrage, le juge français à tantôt jugé que: «Le recours à l’arbitrage selon le règlement de la CCI implique de la part de l’Etat qui a accepté de s’y soumettre, l’engagement d’exécuter la sentence conformément à ce règlement»,12xCour d’Appel de Paris, 9 juillet 1992, Rev. Arb. 1994, p. 133, note P. Tery. et tantôt que «en souscrivant à des clauses compromissoires sans lesquelles à l’évidence des marchés n’auraient pas été conclus puis en s’y soumettant, l’Etat a ainsi accepté les règles du droit commun du commerce international; qu’il a, par là même, renoncé à son immunité de juridiction et, les conventions devant s’exécuter de bonne foi, à son immunité d’exécution […]».13xCour d’Appel de Paris, 24 février 1994, Sté BEC Frères c/ Etat de Tunisie, Rev. Arb. 1995, p. 277, note V. Gaudemet.
      Il en résulte que pour le juge français, la renonciation par l’Etat ou par toute autre personne morale de droit public à son immunité de juridiction vaut renonciation à son immunité d’exécution.
      La Cour de Cassation française a réaffirmé cette règle en affirmant dans l’arrêt Creighton Limited du 6 juillet 2000 qu’au regard des «principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers, ensemble l’Art. 24 du règlement d’arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale, l’engagement pris par l’Etat signataire de la clause d’arbitrage d’exécuter la sentence […] impliquait renonciation de cet Etat à l’immunité d’exécution […]».
      A côté de cette jurisprudence française, qui témoigne d’une bonne maîtrise du droit des immunités par le juge français, on mentionnera utilement que depuis le milieu des années 1970, les pays de tradition de la Common Law se sont dotés de législations spécifiques relatives aux immunités des Etats étrangers.
      C’est ainsi que le Foreign Sovereign Law Imunities Acts des Etat-Unis (21 octobre 1976 et ses amendements du 9 novembre 1988), le State immunity Act du Royaume Uni (20 juillet 1978) et le Foreign Immunity Act de l’Australie (16 Décembre 1985) autorisent des mesures d’exécution à l’encontre des biens et avoirs des Etats étrangers affectés à leurs activités commerciales et ne les excluent que pour ceux servant de support à leurs actes de puissance publique.
      Le Canada a adopté une loi similaire en 1982.
      A l’échelle universelle, l’on mentionnera la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens adoptée le 2 décembre 2004 puis soumise à la signature des Etats à partir du 17 janvier 2005.14xPour une étude détaillée sur ladite Convention, voir G. Hafner & L. Lange, ‘La Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens’, AFDI 2004, pp. 45-76; G. Kenfack Douajni, ‘Les Etats Parties à l’OHADA et la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens’, Rev. Camerounaise Arb. 2006, p. 3 et seq.; G. Kenfack Douajni, ‘Propos sur l’immunité d’exécution et les émanations des Etats’, Rev. Camerounaise Arb. 2005, p. 3 et seq. (ci-après: ‘Propos sur l’immunité’).
      Ladite Convention fixe les conditions de la restriction de l’immunité d’exécution des personnes morales de droit public, en reprenant les principales positions du droit comparé en la matière.
      Même si cette Convention n’est pas encore en vigueur, elle a déjà été signée par au moins un des Etats parties à l’OHADA, en l’occurrence le Sénégal; ce qui ne manquera pas, le moment venu, c’est-à-dire après l’entrée en vigueur de la Convention en question, d’induire une réécriture de l’Art. 30 cité plus haut, en raison de la suprématie du droit international sur le droit interne.
      En attendant l’entrée en vigueur de cette Convention, il ne semble pas excessif d’affirmer que le Juge étatique de l’espace OHADA serait fondé, sur la base de l’Art. 2 alinéa 2 de l’AUA, à restreindre l’immunité d’exécution dont jouit un Etat ou toute autre personne morale de droit public dans l’espace OHADA, pour y autoriser l’exécution forcée d’une sentence arbitrale OHADA ou autre.
      En effet, cet Art. 2 alinéa 2 de l’AUA autorisant les personnes morales de droit public de l’espace OHADA à compromettre, c’est tout naturellement que ces dernières doivent, le cas échéant et au regard du texte sus-évoqué, être contraintes à se soumettre aux sentences arbitrales intervenues suite à la mise en œuvre des conventions arbitrales auxquelles elles auront souscrit.
      Quoiqu’il en soit, à défaut pour le juge étatique de l’espace OHADA d’appliquer l’Art. 30 dans le sens de sa restriction, il appartient au législateur OHADA, c’est-à-dire au Conseil des Ministres de l’OHADA, de procéder à la réécriture dudit texte dans un sens qui permette de garantir effectivement, dans l’espace OHADA, la sécurité juridique des activités économiques afin d’y favoriser l’essor desdites activités et d’y encourager l’investissement, comme le proclame le préambule du Traité OHADA.
      En dehors de l’espace OHADA, les entraves à l’exécution forcée contre les personnes morales de droit public sont rares, y compris lorsque l’on a à faire à des Etats membres de l’OHADA ou même lorsque la sentence arbitrale à exécuter a été rendue sur le fondement des règles arbitrales OHADA.

      (B) La jurisprudence en dehors de l’espace OHADA

      L’examen de la jurisprudence française nous révèle que deux Etats parties à l’OHADA, en l’occurrence le Cameroun et le Congo-Brazzaville, ont fait l’objet d’exécution forcée, la Cour d’appel de Paris ayant utilisé la notion d’émanation de l’Etat pour autoriser la saisie de ces Etats à travers des sociétés publiques créées par ceux-ci.
      En effet, la jurisprudence en droit comparé utilise cette notion d’émanation de l’Etat pour autoriser que soit pratiquée une saisie sur un Etat à travers une société à capitaux publics créée par celui-ci, lorsque se trouvent réunies les conditions objectives de la restriction de l’immunité d’exécution dont bénéficie ledit Etat.
      Ainsi, dans les arrêts rendus par la Cour d’Appel de Paris le 3 juillet 200315xPublié dans la Rev. Camerounaise Arb. 2005, p. 16. et le 22 janvier 2004,16xPublié dans la Rev. Camerounaise Arb. 2005, p. 22. les Etats congolais et camerounais avait été saisis à travers leurs sociétés pétrolières respectives, la juridiction parisienne estimant que ces sociétés pétrolières constituent des émanations des Etats en cause, puisque ne disposant pas d’autonomie financière, et même juridique propre vis-à-vis desdits Etats.17xSur la question des émanations des Etats, G. Kenfack Douajni, Propos sur l’immunité, supra note 14, p. 3 et seq.
      En ce qui concerne l’exécution, en dehors de l’espace OHADA, des sentences arbitrales OHADA, celles-ci sont considérées comme des sentences étrangères et y font l’objet d’une exécution forcée sur le fondement de la Convention de New York du 10 juin 1958.
      On rappellera, à cet égard, qu’au terme de l’Art. 1 de la Convention ci-dessus mentionnée, une sentence étrangère est, en principe, une sentence rendue dans un autre Etat partie que celui dans lequel sa reconnaissance et son exécution sont demandées.
      Ayant été adopté pour favoriser l’exécution des sentences arbitrales au plan universel par la facilitation de l’accueil desdites sentences dans ses Etats parties, la Convention de New York constitue l’un des instruments internationaux les plus largement adoptés.18xP. Fouchard, E. Gaillard & B. Goldman, Traité de l’arbitrage, supra note 8, p. 980.
      En effet, à ce jour, elle a été ratifiée par plus de cent quarante pays au monde, au nombre desquels des pays membres de l’OHADA.19xLes Etats parties à l’OHADA et également parties à la Convention de New York sont les suivants: Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée Conakry, Mali, Niger et Sénégal (Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, New York, 1958, disponible sur <www.uncitral.org/uncitral/fr/uncitral_texts/arbitration/NYConvention.html>).
      L’un des traits marquants de la Convention de New York tient au fait qu’elle ne s’oppose pas à ce que le droit commun de l’Etat dans lequel la reconnaissance et l’exécution forcée d’une sentence arbitrale étrangère sont recherchées soit plus favorable.20xArt. VII(1) Convention de New York.
      L’Art. VII(1) de cette Convention énonce à cet égard que: «Les dispositions de la présente Convention ne portent pas atteinte à la validité des accords multilatéraux ou bilatéraux conclus par les Etats contractants en matière de reconnaissance et d’exécution des sentences arbitrales et ne privent aucune partie intéressée du droit qu’elle pourrait avoir de se prévaloir d’une sentence arbitrale de la manière et dans la mesure admises par la législation ou les traités des pays où la sentence est invoquée».
      Cette disposition de la Convention de New York a été opportunément qualifiée de «clause de la sentence la plus favorisée», qui règle deux types de conflits de normes; d’une part, les conflits de Conventions Internationales, dans la mesure où la norme conventionnelle qui l’emporte n’est ni la plus récente, ni la plus spéciale mais celle qui, par son contenu, est jugée la plus favorable à l’exécution de la sentence.21xP. Fouchard, E. Gaillard & B. Goldman, Traité de l’arbitrage, supra note 8, p. 152 et 153.
      D’autre part, «le conflit entre les règles de la Convention de New York et celles du droit commun de l’Etat contractant est également tranché en faveur de la disposition la plus favorable».22xId., p. 153; id., p. 994.
      C’est donc tout naturellement que la Convention de New York est perçue comme constituant «le degré minimum de protection du bénéficiaire de la sentence»23xId. et que l’on en déduit qu’elle «ne prévoit que les conditions minimales de la reconnaissance et de l’exécution des sentences et ne s’oppose nullement à ce que le droit commun de tel ou tel Etat fasse preuve d’un plus grand libéralisme».24xId.
      Sur le fondement de cette lecture de l’Art. VII de la Convention de New York, que nous approuvons,25xG. Kenfack Douajni, ‘The OHADA State parties and the New York Convention’, Communication à l’occasion du 50ème anniversaire de la Convention de New York, New York, 1er février 2008. le juge français a plusieurs fois été amené à accorder l’exequatur, en France, à une sentence annulée dans son pays d’origine.
      C’est ainsi que dans l’affaire Norsolor, la Cour de cassation française avait cassé l’arrêt par lequel une Cour d’Appel avait refusé l’exequatur en France d’une sentence rendue en Autriche puis annulée par la Cour d’Appel de Vienne.
      En effet, se fondant sur l’Art. VII de la Convention de New York, la Haute juridiction française estima que dès lors que l’annulation de la sentence dans son pays d’origine ne figure pas dans la liste limitative des griefs recevables contre elle en vertu du droit commun français (Art. 1502 NCPC), le juge français ne pouvait se satisfaire de cette circonstance pour rejeter la sentence.26xCour de Cassation, 1ère Civ., 23 mars 1994, note Ch. Jarrosson, J.D.I. 1994, p. 701; Note E. Gaillard & J. Paulson, ‘L’exécution des sentences arbitrales en dépit d’une annulation en fonction d’un critère local’, 9(1) Bull. CCI 1998, p. 14 et seq.; A.J. Van den Berg, ‘L’exécution d’une sentence arbitrale en dépit de son annulation?’, 9(2) Bull. CCI 1998, p. 15 et seq. (ci-après: ‘L’exécution’).
      Confirmant cette position plus tard, la Cour de Cassation, dans l’affaire Hilmarton, affirme que: «C’est à juste titre que l’arrêt attaqué décide qu’en application de l’Art. VII de la Convention de New York [...] la société OTV était fondée à se prévaloir des règles françaises relatives à la reconnaissance et à l’exécution des sentences rendues à l’étranger en matière d’arbitrage international et notamment de l’Art. 1502 du Nouveau Code de Procédure Civile qui ne retient pas, au nombre des cas de refus de reconnaissance et d’exécution, celui prévu par l’Art. VI de la Convention de New York».27xId.
      Plus récemment, dans le cadre de l’affaire Putrabali portant sur un contrat de vente de piment blanc par une entreprise indonésienne à une société française, laquelle, n’ayant jamais reçu sa marchandise, refusa de payer le prix d’achat réclamé par la vendeuse, la Cour de cassation française a statué comme précédemment, tout en insistant sur l’absence de rattachement de la sentence internationale à l’égard de tout ordre juridique étatique.
      En effet, la Haute juridiction française a affirmé que «la sentence internationale, qui n’est rattachée à aucun ordre juridique étatique, est une décision de justice internationale dont la régularité est examinée au regard des règles applicables dans le pays où la reconnaissance et son exécution sont demandées [….]. En application de l’Art. VII de la Convention de New York du 10 janvier 1958, la société Rena Holding était recevable à présenter en France la sentence rendue à Londres le 10 avril 2001 conformément à la convention d’arbitrage et au Règlement de l’IGPA et fondée à se prévaloir des dispositions du droit français de l’arbitrage international, qui ne prévoit pas l’annulation de la sentence dans son pays d’origine comme cause de refus de reconnaissance et d’exécution de la sentence rendue à l’étranger».28xS. Putrabali & R. Holding & Autres, ‘Cass. 1ère civ. 29 juin 2007’, Rev. Arb. 2007.
      Cette jurisprudence française fondée sur l’Art. 1502 NCPC qui a eu des échos favorables en Belgique, aux Pays-Bas et en Autriche pourrait fort bien être reprise par les juges étatiques de l’espace OHADA, sur le fondement de l’Art. 26 AUA, qui, à une exception près, constitue une reprise de l’Art. 1502 NCPC sus-évoqué.
      En effet, situé sous le chapitre du Nouveau Code Français de Procédure Civile, qui traite des voies de recours contre les sentences arbitrales à l’étranger ou en matière d’arbitrage internationale, cet Art. 1502 est conçu comme suit: «l’appel de la décision qui accorde la reconnaissance ou l’exécution n’est ouvert que dans les cas suivants:

      1. Si l’arbitre a statué sans convention d’arbitrage ou sur convention nulle ou expirée;

      2. Si le tribunal arbitral a été irrégulièrement composé ou l’arbitre unique irrégulièrement désigné;

      3. Si l’arbitre a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été conférée;

      4. Lorsque le principe de la contradiction n’a pas été respecté;

      5. Si la reconnaissance ou l’exécution sont contraire à l’ordre public international».

      Pour sa part, l’Art. 26 de l’AUA énonce les cas d’ouverture à annulation de la sentence arbitrale en ces termes: «Le recours en annulation n’est recevable que dans les cas suivants:

      • Si le tribunal a statué sans convention d’arbitrage ou sur convention nulle ou expirée;

      • Si le tribunal arbitral était irrégulièrement composé ou l’arbitre unique irrégulièrement désigné;

      • Si le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui a été confiée;

      • Si le principe du contradictoire n’a pas été respecté;

      • Si le tribunal arbitral a violé une règle d’ordre public internationale des Etats signataires du Traité;

      • Si la sentence arbitrale n’est pas motivée».

      On le voit, comme l’Art. 1502 NCPC, cet Art. 26 AUA ne prévoit pas l’annulation de la sentence dans son pays d’origine comme cause de refus de l’exequatur et peut tout autant servir de fondement au juge étatique de l’espace OHADA pour reconnaître dans l’espace OHADA une sentence arbitrale annulée dans son pays d’origine.
      Quoiqu’il en soit, cette jurisprudence française a aussi eu un écho favorable aux Etats-Unis, où l’affaire Chromalloy dans laquelle une sentence arbitrale rendue en Egypte et annulée par la justice égyptienne a bénéficié de l’exequatur d’une Cour d’Appel américaine.
      Il est vrai, cependant, que la jurisprudence Chromalloy a été progressivement remise en cause par les juridictions américaines, poussées en cela par des critiques doctrinales qui, si elles estiment qu’accorder l’exequatur à une sentence annulée dans son pays d’origine est contraire à l’Art. V(1)(e) de la Convention de New York, n’expliquent pourtant pas en quoi cette disposition de la Convention sus-évoquée mériterait plus de considération que l’Art. VII de la même Convention, sur le fondement duquel une sentence annulée à l’étranger est validée en France et dans les autres pays mentionnés plus haut.29xSur les critiques contre la doctrine française, voir A. Van Den Berg, L’exécution, supra note 26, p. 15 et seq.; R.W. Hulbert, ‘When the Theory Doesn’t fit the Facts, a Further Comment on Putrabali’, 25 Arb. Int’l 2009, pp. 157-172; M.D. Slate, ‘On Annulled Arbitration Award and Death of Chromalloy’, 25 Arb. Int’l 2009, pp. 271-292.
      En tout état de cause, il est intéressant de relever qu’une sentence arbitrale CCJA a récemment bénéficié de l’application de cette jurisprudence française permettant l’exécution d’une sentence annulée ou même simplement susceptible d’annulation dans son pays d’origine.
      En effet, la sentence arbitrale CCJA rendue le 31 octobre 2005 à Abidjan entre la Société Ivoirienne de Raffinage (SIR SA) et les Sociétés Teekay Shipping Norway AS et Autres en faveur des sociétés sus-citées a bénéficié d’une ordonnance d’exequatur rendue le 15 mars 2006 par le Tribunal de Grande Instance de Paris, à la demande desdites Sociétés, alors même qu’elle faisait l’objet d’une contestation de validité devant la CCJA, ce recours ayant été introduit par la SIR SA qui avait, dans le même temps, introduit contre ladite sentence un recours en annulation devant la Cour d’Appel d’Abidjan.
      Il ne semble pas superflu de préciser que la contestation de validité sus-évoquée donna lieu plus tard à un arrêt de rejet de la CCJA.30xVoir Arrêt CCJA No. 29/2007, 19 juillet 2007, avec note de G. Kenfack Douajni, Rev. Camerounaise Arb. No. 38, p. 14 et seq.
      Par ailleurs, l’on indiquera utilement qu’après avoir interjeté appel contre l’ordonnance d’exequatur rendue le 15 mars 2006 par le Tribunal de Grande Instance de Paris, la SIR SA sollicitait devant la Cour d’Appel de Paris le sursis à statuer en attendant la décision de la Cour d’Appel d’Abidjan, qu’elle disait avoir saisi d’un recours en annulation contre la sentence bénéficiaire de l’ordonnance d’exequatur querellée.
      La Cour d’Appel de Paris a rejeté cette demande de sursis à statuer de la SIR SA en énonçant fort justement que «[...] quelque soit la compétence de la Cour d’Appel d’Abidjan pour connaître d’un recours dirigé contre une sentence rendue sous les auspices du Règlement CCJA, ledit Règlement prévoit la procédure et les conditions pour contester la validité devant même la CCJA».
      Puis, la Cour d’Appel de Paris a précisé que la sentence arbitrale CCJA, sentence internationale, qui n’est rattachée à aucun ordre juridique étatique «[…] est une décision de justice internationale dont la régularité est examinée au regard des règles applicables dans le pays où sa reconnaissance et son exécution sont demandées; que l’Art. 1502 du Nouveau Code de Procédure Civile n’envisageant pas comme cause de refus d’exécution l’annulation de la sentence à l’étranger, […] la Convention de New York du 10 juin 1958, à laquelle l’Accord de coopération en matière de justice du 24 avril 1961 entre la France et la Côte d’Ivoire renvoie pour «la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, réserve l’application d’un droit interne, tel le droit français, plus favorable».31xCour d’Appel de Paris, 31 juillet 2008, Arrêt No. 06/0778, Aff. S. I. de Raffinage (SAR) & S. T. Shipping Norway & Autres, Rev. Camerounaise Arb. No. 40, note de G. Kenfack Douajni; Rev. Camerounaise Arb. No. 44, Commentaires de B. Le Bars, p. 13 et seq.
      Sur quoi, la Cour d’Appel de Paris a confirmé l’ordonnance d’exequatur querellée.
      Le second arrêt rendu dans le même sens par la Cour d’Appel de Paris est encore plus récent, car il date du 18 novembre 201032xCour d’Appel de Paris, 18 novembre 2000, Commercial Bank Guinea Equatorial c/ République de Guinée Equatoriale, id. et oppose la Commercial Bank Guinea Ecuatorial à la République de Guinée Equatoriale.
      Dans cette affaire et d’après les qualités de l’arrêt, le groupe camerounais Fotso ayant pour projet d’avoir un établissement bancaire en Guinée Equatoriale, dont la dénomination devait être «Commercial Bank Guinea Equatorial – CBGE» et qui devait être filiale de la Commercial Bank of Cameroon, s’est rapproché des autorités publiques de Guinée Equatoriale pour la créer.
      Une convention d’établissement avait été signée à cet effet par les parties le 18 décembre 2003; elle contenait une clause compromissoire (Art. 13) renvoyant à l’arbitrage CCJA pour le règlement des litiges y relatifs.
      Un litige étant survenu entre les parties suite au refus de délivrance de l’agrément à la CBGE par l’autorité monétaire de la République de Guinée Equatoriale, la CBGE a mis en œuvre la clause compromissoire évoquée plus haut.
      Le tribunal arbitral mis en place en application du règlement d’arbitrage CCJA a, le 24 mai 2009 à Libreville (Gabon), condamné la République de Guinée Equatoriale à verser à titre d’indemnisation à la CBGE diverses sommes d’un montant global d’environ 45 milliards de FCFA.
      La CBGE ayant sollicité l’exequatur de cette sentence devant la CCJA, la République de Guinée Equatoriale a fait échec à cette demande en introduisant un recours en contestation de validité de ladite sentence; ce recours est encore pendant devant la CCJA.
      Parallèlement à la demande d’exequatur devant la CCJA, la CBGE avait également saisi le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris d’une demande d’exequatur de la sentence du 24 mai 2009; le délégué de ce magistrat a accordé l’exequatur à la sentence du 24 mai 2009 par ordonnance du 15 juillet 2009.
      Suite à l’appel de la République de Guinée Equatoriale, la Cour d’Appel de Paris a, par arrêt du 18 novembre 2008, confirmé l’ordonnance d’exequatur de la sentence CCJA.
      La Cour d’Appel de Paris considère, en effet, la sentence CCJA critiquée comme une sentence internationale et, reprenant les motivations contenues dans son arrêt du 31 juillet 2008, elle affirme «que la sentence internationale querellée n’est rattachée à aucun ordre juridique étatique et est une décision de justice internationale dont la régularité est examinée au regard des règles applicables dans les pays où la reconnaissance et son exécution sont demandées; que l’objet de la procédure d’exequatur en France est d’accueillir dans l’ordre juridique français la sentence internationale aux seules conditions qu’il a posées; qu’en conséquence, cet objet est étranger à la procédure d’exequatur devant la CCJA […]».
      Ces arrêts de la Cour d’Appel de Paris méritent d’être approuvés, d’autant qu’en qualifiant de «sentence internationale» et de «décision de justice internationale», la sentence arbitrale CCJA, ces arrêts confirment l’internationalité de l’arbitrage OHADA et mettent en exergue l’efficacité de l’arbitrage de l’OHADA en général et du système d’arbitrage CCJA en particulier.
      En effet, le système d’arbitrage CCJA est intéressant en ce que l’exequatur accordé à la sentence CCJA rend celle-ci exécutoire dans l’ensemble de l’espace OHADA.
      Par ailleurs, en dehors de l’espace OHADA, ladite sentence peut être reconnue et exécutée sur le fondement de la Convention de New York, la Cour d’Appel de Paris précisant que cette sentence CCJA est à la fois une sentence internationale et une décision de justice internationale, qui n’est rattachée à aucun ordre juridique étatique et peut, au regard de l’Art. VII de la Convention de New York, être exécutée en France, même si elle est annulée ou est susceptible d’annulation dans son pays d’origine.
      La «querelle» entre les tenants de cette thèse française fondée sur l’Art. VII de la Convention de New York et ceux qui la critiquent en se basant sur l’Art. V(1)(e) de la même Convention traduit simplement la nécessité de compléter ladite Convention par un autre instrument universel qui uniformiserait les causes d’annulation des sentences arbitrales.
      Une voix autorisée, en l’occurrence P. Fouchard, avait déjà cité le dispositif arbitral CCJA comme constituant un modèle susceptible de servir à l’élaboration de cet autre instrument universel qui complèterait utilement la Convention de New York.33xP. Fouchard, ‘Suggestions pour accroitre l’efficacité internationales des sentences arbitrales’, Rev. Arb. 1998, p. 671.
      En effet, le législateur OHADA a su unifier, dans le cadre de l’exequatur accordé par la CCJA aux sentences arbitrales CCJA, les causes d’annulation desdites sentences,34xArt. 30.6 du règlement d’arbitrage CCJA «[…] L’exequatur ne peut être refusé et l’opposition à exequatur n’est ouverte que dans les cas suivants:
      1) si l’arbitre a statué sans convention d’arbitrage ou sur une convention nulle ou expirée;
      2) si l’arbitre a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été conférée;
      3) lorsque le principe de la procédure contradictoire n’a pas été respecté;
      4) si la sentence est contraire à l’ordre public international».
      qui sont opposables à tous dans les Etats parties à l’OHADA.
      En attendant l’avènement de cet autre instrument universel, l’on ne peut que se féliciter de l’adoption des instruments OHADA relatifs à l’arbitrage qui, du fait de leur internationalité avérée et malgré l’imperfection de toute œuvre humaine, font néanmoins la preuve de leur efficacité depuis leur entrée en vigueur, des clauses d’arbitrage étant de plus en plus insérées dans des contrats d’affaires.

    Noten

    • 1 Annuaire de la Commission des Nations Unies pour le droit du Commerce international (CNUDCI), 1977, Vol. VIII, p. 10, résolution No. 31/98.

    • 2 N.U. Document, A/CN.9/WG.11/WP.143, p. 2 et 3, No. 2 à 5.

    • 3 Note de B. Goldman, J.C.P. 1963, II, 13405; note J. Robert, Recueil Dalloz 1963, p. 545.

    • 4 H. Motulsky, Ecrits et notes sur l’arbitrage, Paris, 1960, p. 346 et seq.

    • 5 P. Leboulanger, ‘L’arbitrage et l’harmonisation du droit des affaires en Afrique’, Rev. Arb. 1999, p. 541 et seq.

    • 6 R. Bourdin, ‘Le Règlement d’Arbitrage de la Cour Commune de Justice’, Rev. Camerounaise Arb., No. 6, 1999, p. 10; R. Bourdin, ‘L’OHADA, information à ce jour’, Doc. CCI 420/405 annexe 3, 30 mars 2000.

    • 7 Art. 10 du Règlement d’arbitrage CCJA.

    • 8 P. Fouchard, E. Gaillard & B. Goldman, Traité de l’arbitrage commercial international, Paris, 1996, p. 413 et 414 (ci-après: ‘Traité de l’arbitrage’).

    • 9 Id.

    • 10 Sur l’ensemble de la question dans l’espace OHADA, voir G. Kenfack Douajni, ‘L’exécution forcée contre les personnes morales de droit public’, Rev. Camerounaise Arb. 2002, p. 3 et seq.; G. Kenfack Douajni, ‘Etude comparative entre l’arbitrage OHADA et l’arbitrage international’, Communication au Colloque, Paris, 17 et 18 mars 2009.

    • 11 Cité par F. Sawadogo, Rev. Camerounaise Arb., No. spécial (2).

    • 12 Cour d’Appel de Paris, 9 juillet 1992, Rev. Arb. 1994, p. 133, note P. Tery.

    • 13 Cour d’Appel de Paris, 24 février 1994, Sté BEC Frères c/ Etat de Tunisie, Rev. Arb. 1995, p. 277, note V. Gaudemet.

    • 14 Pour une étude détaillée sur ladite Convention, voir G. Hafner & L. Lange, ‘La Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens’, AFDI 2004, pp. 45-76; G. Kenfack Douajni, ‘Les Etats Parties à l’OHADA et la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens’, Rev. Camerounaise Arb. 2006, p. 3 et seq.; G. Kenfack Douajni, ‘Propos sur l’immunité d’exécution et les émanations des Etats’, Rev. Camerounaise Arb. 2005, p. 3 et seq. (ci-après: ‘Propos sur l’immunité’).

    • 15 Publié dans la Rev. Camerounaise Arb. 2005, p. 16.

    • 16 Publié dans la Rev. Camerounaise Arb. 2005, p. 22.

    • 17 Sur la question des émanations des Etats, G. Kenfack Douajni, Propos sur l’immunité, supra note 14, p. 3 et seq.

    • 18 P. Fouchard, E. Gaillard & B. Goldman, Traité de l’arbitrage, supra note 8, p. 980.

    • 19 Les Etats parties à l’OHADA et également parties à la Convention de New York sont les suivants: Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée Conakry, Mali, Niger et Sénégal (Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, New York, 1958, disponible sur <www.uncitral.org/uncitral/fr/uncitral_texts/arbitration/NYConvention.html>).

    • 20 Art. VII(1) Convention de New York.

    • 21 P. Fouchard, E. Gaillard & B. Goldman, Traité de l’arbitrage, supra note 8, p. 152 et 153.

    • 22 Id., p. 153; id., p. 994.

    • 23 Id.

    • 24 Id.

    • 25 G. Kenfack Douajni, ‘The OHADA State parties and the New York Convention’, Communication à l’occasion du 50ème anniversaire de la Convention de New York, New York, 1er février 2008.

    • 26 Cour de Cassation, 1ère Civ., 23 mars 1994, note Ch. Jarrosson, J.D.I. 1994, p. 701; Note E. Gaillard & J. Paulson, ‘L’exécution des sentences arbitrales en dépit d’une annulation en fonction d’un critère local’, 9(1) Bull. CCI 1998, p. 14 et seq.; A.J. Van den Berg, ‘L’exécution d’une sentence arbitrale en dépit de son annulation?’, 9(2) Bull. CCI 1998, p. 15 et seq. (ci-après: ‘L’exécution’).

    • 27 Id.

    • 28 S. Putrabali & R. Holding & Autres, ‘Cass. 1ère civ. 29 juin 2007’, Rev. Arb. 2007.

    • 29 Sur les critiques contre la doctrine française, voir A. Van Den Berg, L’exécution, supra note 26, p. 15 et seq.; R.W. Hulbert, ‘When the Theory Doesn’t fit the Facts, a Further Comment on Putrabali’, 25 Arb. Int’l 2009, pp. 157-172; M.D. Slate, ‘On Annulled Arbitration Award and Death of Chromalloy’, 25 Arb. Int’l 2009, pp. 271-292.

    • 30 Voir Arrêt CCJA No. 29/2007, 19 juillet 2007, avec note de G. Kenfack Douajni, Rev. Camerounaise Arb. No. 38, p. 14 et seq.

    • 31 Cour d’Appel de Paris, 31 juillet 2008, Arrêt No. 06/0778, Aff. S. I. de Raffinage (SAR) & S. T. Shipping Norway & Autres, Rev. Camerounaise Arb. No. 40, note de G. Kenfack Douajni; Rev. Camerounaise Arb. No. 44, Commentaires de B. Le Bars, p. 13 et seq.

    • 32 Cour d’Appel de Paris, 18 novembre 2000, Commercial Bank Guinea Equatorial c/ République de Guinée Equatoriale, id.

    • 33 P. Fouchard, ‘Suggestions pour accroitre l’efficacité internationales des sentences arbitrales’, Rev. Arb. 1998, p. 671.

    • 34 Art. 30.6 du règlement d’arbitrage CCJA «[…] L’exequatur ne peut être refusé et l’opposition à exequatur n’est ouverte que dans les cas suivants:
      1) si l’arbitre a statué sans convention d’arbitrage ou sur une convention nulle ou expirée;
      2) si l’arbitre a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été conférée;
      3) lorsque le principe de la procédure contradictoire n’a pas été respecté;
      4) si la sentence est contraire à l’ordre public international».


Print this article